L’immense Ibrahima Sall, l’un des meilleurs écrivains de ce pays, est décédé vendredi 05 juin 2020, dans une grande indifférence des médias et de la communauté littéraire. Lesquels, c’est vrai, ne le connaissaient pas beaucoup. Il est mort comme il a vécu. Lui qui n’a jamais voulu des honneurs et a toujours tu sa souffrance, malgré l’immense talent qui a été le sien…
De l’écrivain Ibrahima Sall qui vient de nous quitter le vendredi 5 juin dernier, on peut dire qu’il s’est caché pour mourir. Un peu à la manière des éléphants dont on dit qu’ils se cachent pour mourir. Et de fait, comme les pachydermes, il a été immense. Mais par son talent. En effet que n’a fait votre serviteur pour sortir ce surdoué de la plume de sa solitude ? Nous avons tout entrepris. Tout ! Que de rendez-vous faussés, un questionnaire envoyé aux bons soins de celui qui fut son ami de toujours, le metteur en scène et dramaturge Seyba Lamine Traoré. Nous avons couru, couru derrière cette interview. En vain, avant nous résigner face à tant d’échecs. Ibrahima Sall ne voulait pas que l’on perçoive encore moins rende publique sa peine, ses petites misères de la vie qu’il voulait envelopper d’un voile de pudeur. D’autres que lui auraient crié sur tous les toits leurs misères, faire entendre leur souffrance.
Lui, il s’était tu stoïquement pour vivre dignement. Et pourtant, il aurait pu vivre de son œuvre, tellement celle-ci est immense. Ibrahima Sall était tout simplement hors du commun par son talent et sa maitrise de l’écriture. C’était l’un des rares auteurs de notre pays à se mouvoir aisément dans différents genres littéraires avec un réel succès. Il était un écrivain, un des meilleurs, mais l’un des moins connus. La preuve, il est mort dans l’indifférence générale. Il a fallu les post de quelques amis sur le réseau Facebook pour que le ministre de la Culture se fende d’un hommage 48 heures après son décès. Le connaissait-il réellement, Bécaye Diop ? C’est peu sûr.
D’Ibrahima, personne ne parlait, personne ne se souciait de son sort. Il a vécu sans rien demander à la manière des poètes maudits. Et sans rien attendre des autres ni de l’Etat. Ce bien qu’il était le meilleur. « Mort, il faut que les Sénégalais sachent que Ibrahima Sall était et reste le meilleur écrivain que notre cher pays ait connu. Il était le meilleur d’entre nous. Poète parmi les plus puissants, romancier hors pair, nouvelliste de génie, dramaturge inspiré… », a écrit sur lui le poète Amadou Lamine Sall dans un brillant hommage. Et ce ne sont pas des mots de circonstances. Ibrahima Sall fut, répétons-le, immense. Il avait un style qui sortait des sentiers battus. Il était, comme l’a encore dit Amadou Lamine Sall, Ibrahima tout court. L’homme, un style à nul autre pareil et sans attache. « Ibrahima Sall était un écrivain orignal avec des « tripes », comme on dit, très différent, presque marginal, de tout ce qui se publie dans la littérature sénégalaise », confie l’écrivain Nabil Haïdar depuis l’Île de France où il se trouve.
Lui également avait disparu avant que « Le Témoin » ne le retrouve. Deux fortes têtes qui se connaissent bien. « Ibrahima Sall va être inhumé ce soir (vendredi). Ecrivain génial, il aura vécu caché, quasi inconnu. J’ai bien dit GENIAL, c’est-à-dire qu’il sortait du lot par la qualité de sa plume profonde et raffinée », écrit le critique littéraire Abdoulaye Racine Senghor.
« Il demeurait une étoile sur laquelle veillaient ses pairs de La Constellation »
Du style d’Ibrahima Sall, voilà ce qu’en dit encore Amadou Lamine Sall. « Son style, surtout son style, est magique. Il avait devancé ses aînés. Il avait devancé ses compagnons que nous étions. Ibrahima était Ibrahima : dans l’écriture, la parole, les actes, le mode de vie » Le critique littéraire Moustapha Tambadou parle du disparu avec émotion. « Quelle triste nouvelle. Je suis effondré. Depuis mon article, publié dans « Le Soleil » dès après la parution de « Les routiers de chimères », il me tenait en affectueuse estime. Nous avions été très brièvement des voisins à Khar Yalla. Je ne savais pour quelle raison, il semblait avoir choisi de « raser les murs ». Peut-être avait-il conscience que même en promenade hors de la voûte céleste il demeurait une étoile sur laquelle veillaient ses pairs de La Constellation. Adieu Maître, aujourd’hui le ciel est en fête », écrit M. Moustapha Tambadou.
De l’œuvre « Les routiers de chimères » de Ibrahima Sall voilà ce qu’en dit le professeur Alioune Badara Diane. « …Publiée en 1982, cette œuvre d’Ibrahima. Sall semble opérer une révolution discrète à l’intérieur de la production romanesque des écrivains sénégalais par le bilan thématique, l’affirmation de la dimension littéraire et le travail de l’écriture….Dans « Les Routiers de chimères », le mélange de genres transparaît essentiellement à travers la forme poétique du roman où «le lyrisme des propos» caractéristique de Galaye côtoie le « langage fleuri de Gagna Ndella ». Pour la première fois de son histoire, le roman sénégalais s’appuie sur les modes d’expression spécifiques qui caractérisent d’habitude la poésie ».
Ibrahima Sall est l’auteur de huit ouvrages dont le dernier, « Antilepse » a été publié en 2012. Cet écrivain hors du commun, un des meilleurs de l’espace francophone, a vécu dans la solitude et la misère sans qu’on ait une seule fois entendu sa voix se plaindre. Dors en paix, maestro !
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Ibrahima Sall un écrivain poète Sénégalais |
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Ibrahima Sall en compagnie avec Doudou Ndiaye Rose |
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Ibrahima Sall au début de sa carrière d'écrivain |
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